41. Mais quand la vanité a commencé à grandir et la vessie à se gonfler davantage, il faut à l'air un trop plus large, une plus grande ouverture pour s'échapper, autrement la vessie éclaterait. Ainsi en est-il du religieux qui surabonde d'une sotte joie; s'il ne peut laisser un libre cours au besoin qu'il a de rire, ou témoigner sa gaieté par ses manières, il s'écrie avec Eliu : « Ma poitrine est comme remplie de vin nouveau qui n'a point d'air et qui fait rompre les vaisseaux où on le renferme (Job, XXXII, 19). » Il faut donc ou qu'il parle ou qu'il éclate il est plein de paroles et son esprit est comme en travail pour enfanter toutes les pensées qu'il a conçues (Ibid. 18). Il a faim et soif de gens qui l'entendent, à qui il débite toutes ses vanités; devant qui il répande toutes ses pensées et à qui il dise ce qu'il est et ce qu'il vaut. L'occasion de parler lui est-elle offerte, si la conversation roule sur les lettres, on l'entend citer les anciens et les modernes, les jugements se succèdent sur ses lèvres, et les expressions ampoulées résonnent. Il prévient les questions et répond même à ceux qui ne lui en font point; il fait la demande et la réponse et coupe la parole à son interlocuteur. Si la cloche donne le signal du silence, les minutes lui semblent des heures, et il demande la permission de continuer l'entretien après que le temps est passé, non point pour édifier, mais pour montrer son savoir. Il pourrait édifier mais ce n'est pas ce qu'il se propose; ce qu'il veut, ce n'est ni de vous apprendre quelque chose, ni de s'instruire lui-même auprès de vous de ce qu'il ,ignore, mais c'est qu'on sache qu'il est savant. Est-il question de la religion, aussitôt il vous cite des songes et des visions; il loue les jeûnes, recommande les veilles et fait par-dessus tout l'éloge de l'oraison: il disserte avec autant de talent que de vanité sur la patience, sur l'humilité et sur toutes les vertus; à l'entendre parler, on serait tenté de dire que chez lui « la bouche parle de l'abondance du coeur, et que l'homme de bien tire ces bonnes choses du bon trésor de son coeur (Luc, VI, 45 et Matth., VII, 44).» Si l'entretien tourne au plaisant, alors il est intarissable, ce sujet est précisément son fort Si vous l'entendez, c'est un fleuve de vanités, un torrent de plaisanteries qui s'échappe de ses lèvres, au point que les esprits les plus graves ne peuvent s'empêcher de rire. Pour tout dire en un mot, reconnaissez la jactance à ce flux de paroles. Je vous ai décrit et nommé le quatrième degré de l'orgueil, évitez-le, mais rappelez-vous-en le nom. Venons-en maintenant, mais avec la même précaution, au cinquième degré que j'appelle la singularité.
Cela ne vous rappelle t-il personne ?