ROME et la Conférence épiscopale des évêques de Bosnie-Herzégo vine vont de nouveau se pencher sur les prétendues apparitions mariales de Medjugorje. A la rentrée, une nouvelle commission conjointe doit être constituée pour établir un jugement sur des faits qui remontent au 24 juin 1981. En vingt-cinq ans, le phénomène a provoqué l'afflux de plusieurs millions de pèlerins dans le petit village d'Herzégovine occidentale. Aujourd'hui, la «Gospa» – la «Dame» en Croate – apparaîtrait encore quotidiennement à trois des six voyants et délivrerait des messages le 25 de chaque mois.
Des deux commissions précédentes – instituées en 1982 pour la première au niveau du diocèse et en 1987 pour la seconde au niveau de la conférence épiscopale yougoslave – est sorti, en 1991, un jugement prudent de l'Église catholique : «Sur la base des in vesti gations menées jusqu'ici, il n'a pas été possible d'établir qu'il s'agisse d'apparitions ou de révélations surnaturelles.»
Spécialiste des phénomènes mystiques, consultant et postulateur pour diverses causes de canonisation, Joachim Bouflet est l'auteur d'études sur Medjugorje (1). Il se dit convaincu que Benoît XVI «n'est pas étranger à cette reprise en main, comme il l'a fait dans le dossier du fondateur de la Congrégation des Légionnaires du Christ, le père Marcial Maciel». L'historien a évoqué les événements de Medjugorje en 1999 avec Mgr Tarcisio Bertone, alors adjoint du cardinal Ratzinger à la Doctrine de la foi, aujourd'hui numéro deux du Vatican. «Il avait, dit-il, manifesté de sérieuses réticences que le cardinal Ratzinger partageait.»
La difficulté consiste à trouver une issue qui, quel que soit le jugement, permette de préserver les fruits spirituels que l'Église ne nie pas. Ainsi en France, de nombreux groupes de prière sont nés parmi les dizaines de milliers de pèlerinages organisés sans interruption pendant un quart de siècle. Même au plus fort de la guerre de Yougoslavie. Responsable d'une association spirituelle née à Medjugorje, Marie au coeur des familles, Jean de Castries explique : «Tout en restant fidèle aux jugements de l'Église, on ne peut qu'être impressionné par les témoignages de conversion observés dans ce lieu.» Organi sateur de «pèlerinages privés», ce père de famille insiste sur la simplicité et la «catholicité» des messages qui y seraient délivrés, «des invitations à la messe, au chapelet, à la prière, à la confession et au jeûne».
Les franciscains en première ligne
Pourtant, sur place, loin du regard des fidèles, les franciscains – qui assument la responsabilité spirituelle du lieu – sont en conflit ouvert avec les autorités diocésaines comme avec Rome. Le conflit n'a pas attendu les apparitions puisqu'il date du temps où Paul VI demanda aux franciscains, sans beaucoup de succès, de confier la responsabilité de certaines de leurs églises au clergé diocésain. Le Pape souhaitait réduire leur influence. Les premiers faits d'armes de ces fils de saint François remontent au XIVe siècle, lorsqu'ils tentent de convertir les hérétiques bogomils. Durant les siècles d'occupation turque, les franciscains se considèrent comme les derniers défenseurs du catholicisme.
Au XXe siècle, ces rudes na tionalistes ont poursuivi leurs croisades contre musulmans et orthodoxes. En octobre 2005, le pro cu reur du Tribunal pénal international, Carla Del Ponte, les a accusés de cacher dans un monastère le général Ante Gotovina, inculpé de crimes de guerre. Les franciscains ont nié et demandé des excuses. Mais ils ont aussi manifesté leur admiration pour le fugitif. Autours de Medjugorje, des curés exercent toujours leur ministère malgré les condamnations ou les exclusions de l'ordre par leurs supérieurs romains. Le père Jozo Zovko, curé franciscain des «voyants», qui diffuse aujourd'hui le message, a ainsi été frappé d'une «suspens a divinis» (interdiction de prêcher et de célébrer les sacrements), sans que cela freine son apostolat.
«Un état latent de schisme»
Le 6 juillet, dans l'église paroissiale Saint-Jacques de Medjugorje, l'évêque du lieu, MgrRatko Peric, n'a donc pas hésité à parler de «scandale», à évoquer «un état latent de schisme», à rappeler que Medjugorje «ne pouvait pas être considéré comme un sanctuaire marial» et à demander aux voyants «de ne plus se présenter comme tels». «Le fait qu'il y ait eu des dizaines de milliers d'apparitions durant 25 ans, a-t-il affirmé en chaire, ne contribue pas à en valider l'authenticité.» En outre, l'évêque a fait état d'une audience avec Benoît XVI en février dernier. «La Congrégation pour la doctrine de la foi s'est toujours demandé comment toutes ces apparitions pouvaient être considérées comme authentiques», lui aurait confié le Pape. Cette homélie de l'évêque a eu lieu dix jours avant que le cardinal Vinko Puljic, archevêque de Sarajevo, confirme qu'une nouvelle commission canonique était en cours de formation.
(1) «Medjugorje ou la fabrication du surnaturel», Éditions Salvator. «Faussaires de Dieu», aux Presses de la Renaissance.
http://www.lefigaro.fr/france/20060815.FIG000000055_le_site_marial_de_medjugorje_au_crible_du_vatican.html